La ruée vers la langouste rose se poursuivait, les affaires marchaient bien et les carnets de commandes des chantiers se remplissaient. Cependant les pêcheurs constataient une diminution de langoustes sur les fonds les plus accessibles du banc d'Arguin. Les 12 grands langoustiers camaretois (fin 1960) et la trentaine de langoustiers douarnenistes faisaient déjà de la surpêche mais la machine économique était lancée et Camaret prévoyait la construction de 5 nouvelles unités en 1960 et 5 autres en 1961.
1960 : La construction continue avec 5 langoustiers mauritaniens.
Le 17 janvier 1960, aux Sables d'Olonne, le chantier Chauffeteau lançait le
Sirocco destiné à l'armement camarétois Drévillon et consorts.
Long de 29.8 m, pour une largeur de 7,68 m, il jaugeait 220 tx bruts et était propusé par un moteur Sulzer type 3 DAW32 de 270 cv.
C'était un langoustier mixte avec un vivier de 150 m3 et une chambre froide de 28 m3 pouvant contenir 8 tonnes de queues de langoustes.
Le "Sirocco" portait la marque du chantier Chauffeteau comme la "Petite Folie" et d'autres bateaux douarnenistes. C'était un "cul pointu", il avait aussi ce décrochement du plat-bord qui réhausse l'arrière du bateau.
Le patron du Sirocco était Yvon Drévillon.
Le 4 avril 1960 le
Folgor, construit en Hollande pour l'armement "Lucien Drévillon et consorts", arrivait à Camaret. C'était un langoustier à vivier avec une coque acier de 31.5 m de long jaugeant 245 tx de jauge brute. Il disposait d'un vivier de 160 m3 et de 36 m3 de chambres froides
Son moteur Kromhout de 435 cv lui permettait une vitesse de 10 neuds.
Patron : Lucien Drévillon.
Le 12 mai 1960 le chantier Péron lancait le
Henri-Annick, superbe langoustier mixte en bois, mesurant 34 m pour une jauge de 329 tx. Il devenait à son tour
le plus grand langoustier construit à Camaret.
Le Henri-Annick disposait d'un vivier pouvant contenir plus de 20 tonnes de
langoustes vivantes et d'une chambre froide prévue pour 20 tonnes de queues de langoustes congelées.
Son moteur M.G.O avait
une puissance de 550 ch. Le commandement de ce nouveau navire fût confié à Henri Jadé.
Le 6 octobre 1960 le chantier Péron mettait à l'eau le Castel Dinn , langoustier mixte un peu plus petit que les précédents car il mesurait 24,5 mètres de long et jaugeait 142 tx bruts.
Il était propulsé par deux moteurs jumelés d'une puissance de 160 cv chacun et pouvait stocker 8 tonnes de langoustes en vivier et 6 tonnes en chambre froide alimentée par un tunnel de congélation.
Henri Téphany , ancien patron de la Scabieuse, en assura le commandement.
Le 19 décembre 60 le chantier Keraudren lancait le Rubis, langoustier mixte de 30,30 mètres de long jaugeant 240 tx, muni d'un moteur Duvant de 420 cv. Le Rubis pouvait stocker 22 tonnes de langoustes vivantes en vivier et 15 tonnes de queues de langoustes en chambre froide.
Ce nouveau langoustier était destiné au patron morgatois Marcel Kermel.
Après 5 ans de développement où en était la pêche mauritanienne ?
Une pêche qui s'industrialisait.
Depuis les premiers tâtonnements de "Ma Petite Folie" en 1955 et 1956 la pêche à la langouste rose s'était structurée et Camaret se spécialisait dans cette activité lointaine et de plus en plus industrielle.
En fin d'année 1960 les zones de pêches traditionnelles de la langouste rouge étaient peu à peu délaissées les marins préférant s'embarquer sur les mauritaniens plutôt que sur les petits langoustiers qui fréquentaient les côtes anglaises, portugaises ou marocaines.
Il faut dire aussi que depuis 1960 le Maroc n'était plus accessible (pour 2 ans) aux langoustiers de plus de 20 tx, donc à tous les langoustiers camarétois qui fréquentaient ces eaux.
Quelques uns de ces bateaux habitués aux côtes marocaines choisirent d'aller également sur le Banc d'Arguin pêcher de la langouste rose. C'était un long voyage pour ces petits langoustiers de 40 tx qui ne pouvaient stocker plus de 3 à 4 tonnes de crustacés en vivier.
La Scabieuse,
Grand Pierre,
Santa Familia,
Kenavo,
Stéreden-va-Bro... firent partie de cette flottille..
Les apports de langoustes roses étaient en forte augmentation, en 1960 les mauritaniens de Camaret débarquèrent 334 tonnes de langoustes vivantes et 211 tonnes de queues congelées soit le double des apports de l'année précédente pour chaque produit. Ces apports dépassaient aussi ceux de la langouste rouge (235 tonnes) pêchée par des langoustiers classiques.
La construction navale et le commerce étaient très actifs.
Camaret comptait 12 langoustiers mauritaniens à la fin de l'année 1960, plusieurs autres étaient en construction. Chaque bateau employant une douzaine de marins, le travail ne manquait pas.
La pêche en Mauritanie engendrait aussi une grande activité à terre, d'abord dans les chantiers de constructions navales dont les carnets de commande étaient pleins, dans les ateliers de mécanique,
les forges, les électriciens, les frigoristes qui tous participaient à la construction et à l'entretien des navires.
Quand un navire partait il fallait embarquer la nourriture pour 3 mois, ce qui faisait l'affaire des commerçants de la ville : boulangers, bouchers, cavistes...
Les mareyeurs se modernisaient.
Grande activité aussi chez les mareyeurs, la langouste était expédiée dans toute la France.
En 1960 la Marée Camarétoise avait inauguré son installation de 29 bassins-viviers dans un bâtiment sur le terre-plein du nouveau quai. C'était une installation des plus modernes destinée à stocker
les langoustes vivantes dès leur sortie du bateau. Les bassins étaient alimentés en eau par pompage de l'eau de mer. Ce dispositif permettait de compléter les viviers flottants installés dans le port depuis le début
du siècle.
Le port s'équipait d'un slipway
Le slipway était en voie de finition, il devait permettre de hisser au sec des bateaux de 300 tx pour le déchargement des langoustes ou pour l'entretien des navires. Il était prévu pour une extension future, une voie de garage permettant de monter deux navires sur le terre-plein.
On parlait déjà de construire une nouvelle digue pour protéger le côté nord du port.
Tout allait bien pour notre petit port qui se développait rapidement grâce à l'or rose de la Mauritanie
mais les patrons et les équipages se rendaient compte que la langouste commencait à se raréfier et que pour pêcher les mêmes quantités qu' au début il fallait plus de temps, d'effort et de matériel.
L'Administrateur des Affaires Maritimes de Camaret, Mr Pennec, publia un rapport inquiètant sur l'avenir de la pêche langoustière:
Onze navires de Camaret et une trentaine de Douarnenez pêchent sur ces fonds (banc d'Arguin au large de la Mauritanie) au casier et au chalut toute l'année, et de novembre à avril il faut ajouter 12 à 15 langoustiers qui font la Mauritanie pendant la morte saison de la langouste rouge. Le chalutage a indiscutablement appauvri le banc d'Arguin. Là où passent les chaluts les casiers ne se remplissent plus,. Il faut les mouiller à toucher les roches ou à l'extrême bord des fosses. Les congèlateurs purs doivent prolonger la durée des voyages sans pour autant faire le plein de leurs chambres froides.
La pêche aux crustacés va donc se heurter a de sérieuses difficultés.