Cornouailles anglaises
1902 : Pierre Douguet, un précurseur
Nous sommes en 1902. Les plus forts langoustiers camaretois qui depuis trois ans fréquentent Rochebonne, au sud ouest de l'Ile d'Yeu, lieux de pêches qualifiés d'inépuisables par la presse en 1899, ne produisent plus comme au début. La ressource s'épuise et les langoustiers commencent à se disperser à la recherche de nouveaux gisements.
C'est aussi l'année ou Camaret, comme les autres ports bretons, entre dans une grande crise sardinière qui va durer plusieurs années.
Un patron camaretois, Pierre Douguet, qui avait été un des pionniers de Rochebonne en construisant un nouveau sloop langoustier dès 1899, décida d'aller prospecter au nord, sur les côtes des Cornouailles anglaises.
Il avait entendu dire par des capitaines de cabotage en escale à Camaret que les côtes de Cornouailles anglaises étaient riches en crustacés et que les anglais négligeaient la langouste au profit du homard. Ces propos étaient confirmés par l'équipage du "Well-Come", un caboteur anglais qui venait régulièrement à Sein acheter du homard.
Sur son sloop ponté « L’Aventurier », construit chez Keraudren, 15.44 tonneaux pour une longueur de 11.62 m, muni d’un vivier pouvant contenir 800 kg de langoustes, il navigue jusqu’aux îles Scilly et commence l’exploration.
Un soir d'été de 1902, Pierre Douguet, dans un débit de Camaret avec d'autres patrons pêcheurs. Il leur annonça son intention d'aller voir en Angleterre s'il n'y aurait rien à pêcher. Des capitaines au cabotage rencontrés au cours de ses voyages précédents lui avaient affirmé qu'il y avait quelque-chose à faire par là. Ils lui avaient même indiqué certains parages du côté de la Cornouailles. D'ailleurs le Well-Com, le bateau anglais qui achetait des homards à l'île de Sein, confirmait le renseignement.
Douguet pourtant ne put convaincre ses interlocuteurs. On craignait de nouveaux déboires et Douguet lui-même abandonna un instant son projet et partit à nouveau pour l'Espagne. Mais arrivé à Sein il fit demi-tour, gagna Brest, acheta les cartes qui lui étaient nécessaires et partit pour l'Angleterre. Il atteignit les Sorlingues, y mouilla ses casiers et prit en deux levées : 96 langoustes et 32 homards. Il revint aussitôt et vendit ses crustacés à Port-Louis à la douzaine. Pendant les campagnes suivantes il lui arriva de les vendre à la pièce ou au poids. Mais c'est beaucoup plus tard que cette coutume s'est généralisée.
Douguet n'eut qu'un mot à dire à son retour à Camaret pour que tous les bateaux le suivissent avec confiance. Il n'y avait alors que 17 langoustiers dans le port. Leur tonnage variait entre 10 et 15 tonneaux. Dix ans après le nombre des bateaux était dix fois plus élevé et le tonnage moyen avait triplé. La découverte des fonds d'Angleterre avait presque à elle seule permis un tel essor. P. Douguet devint maire de Camaret. En 1930, on lui a remis la Légion d'honneur. Actuellement, c'est toujours en Angleterre, sur la pointe de Cornouailles, autour des îles Scilly, que la plupart des pêcheurs Camaretois vont jeter leurs casiers. Bien que des gens du Conquet et de Paimpol viennent les y rejoindre, ils y forment toujours la grande majorité.
Dès les premiers essais, du côté de "Seven Stones" il pêche de la langouste et du homard. A son retour à Camaret il ébruite la nouvelle. Au deuxième voyage ils sont 3 bateaux, au troisième 17, à cingler vers les îles Sorlingues (ou Scilly) qui devinrent rapidement la base préférée des pêcheurs de Camaret.
Moins éloignée que Rochebonne, 120 milles nautiques environ (au lieu de 180), par bon vent la Manche pouvait être franchie en une vingtaine d'heures. Ainsi dès 1902 les campagnes s'organisent et en 1903 ce sera la ruée vers le sud de l'Angleterre.
La pêche en Cornouailles anglaises
provoquant la première marée noires qui inonda la Manche jusqu'ux côtes françaises, Camaret ne fut pas épargné
Les ports étaient proches, Ste Marie aux Scilly, St Ives ou Penzance à environ 25 milles.
Des conditions difficiles
La météo
Les côtes des Cornouailles anglaises sont moins hospitalières que celles du sud Bretagne ou de la Vendée car elles se trouvent sur le passage des dépressions. Les coups de vent y sont fréquents, la mer peut vite devenir mauvaise et contrarier la pêche.
Les marées
Les marées y sont aussi plus fortes et les courants violents tout comme en mer d' Iroise. En période de vives eaux il n'était pas possible de travailler car il fallait ramasser les casiers et se réfugier dans un port, attendre quelques jours que la marée faiblisse .
Le trafic maritime
Un autre gros problème était le trafic maritime. La propulsion à vapeur se généralisait, les steamers qui sillonnaient la Manche étaient devenus un vrai danger pour ces petits voiliers souvent mal signalés par temps brumeux, ce qui était fréquent.
Mais la langouste et le homard abondaient et ces dangers ne pas repoussaient pas les pêcheurs.
la pêche
La période de pêche commençait aux beaux jours, elle s'étendait de mai à septembre ou octobre. Les départs et les arrivées était régulés par les marées car on ne pêchait pas pendant les périodes de vives eaux qui ont lieu toutes le deux semaines. Les sloops langoustiers quittaient Camaret après les forts coefficients pour arriver sur les lieux de pêche par marée moyenne. Les voyages pouvaient durer 4 ou 5 semaines, le temps de deux "mortes-eaux", parfois plus en fonction la pêche et des conditions climatiques.
Selon le témoignage de Mr Aflalo, expert britanique des pêches qui visita le Vautour (C1072) en 1903, tous les deux jours un bateau rentrait à Camaret pour ramener la pêche de la flottille.
Quand le temps se gâtait ou pendant les fortes marées, les bateaux pouvaient se réfugier dans les ports les plus proches, à Ste Mary des Scilly, à St Ives, Penzance, Newlyn... Toute la flotille langoustière se retrouvait au mouillage dans ces ports, favorisant le commerce et apportant une certaine animation des lieux.
Les réactions des pêcheurs locaux
En 1902 les pêcheurs locaux qui virent arriver de nombreux bateaux bretons, d'abord de Camaret, du Conquet, puis de Loguivy en 1903, s'inquiètèrent de cette concurrence. Les fonds riches en crustacés allaient être pillés par des concurrents venus de l'autre côté de la Manche.
La limite de pêche était de 3 milles marins (5.5 km) et la vedette des gardes pêche veillait au respect du règlement.
La zone des "Seven Stones", où Douguet commença sa prospection, posa problème au début puis il fut reconnu que ce n'était pas une terre mais seulement des roches à fleur d'eau qui étaient en dehors de la limite des eaux anglaises.
Les langoustiers purent continuer la pêche.
Les limites de pêche
Les bretons ne sont pas toujours disciplinés et comme la langouste était abondante à l'intérieur de la limite des 3 milles, il était tentant d'y faire une incursion de temps de temps. C'est à cette époque que les camarétois ont appris l'art de la fraude. Les autorités maritimes veillaient et il y avait régulièrement des arraisonnements, beaucoup de langoustiers camaretois se sont fait prendre. Le scénario était souvent le même : le bateau pris à l'intérieur des eaux anglaises par la vedette des garde-pêche était ramené au port et son patron rapidement jugé. En général pour sa défense il invoquait les courants qui déplacent les engins de pêche ou la brume qui empêche de se situer. Il en résultait une amende plus ou moins forte et parfois la confiscation de la pêche et des casiers. Celà n'empêchait pas la bonne entente entre bretons et cornouaillais.
Camaret devient un grand port langoustier
Suite à la découverte de Pierre Douguet et du succès de la campagne de pêche langoustière en 1902 les commandes affluent dans les chantiers camaretois. En 1903 16 nouveaux sloops pontés sont lancés avec tous un tonnage allant de 12 à 25 tx.
La pêche à la langouste devenait l'activé principale de Camaret. Il faut dire que la sardine traversait une crise sans précédent.
En 1904 Camaret comptait 75 langoustiers (toutes tailles confondues), on y dénombrait plus de 500 pêcheurs langoustiers.
Les lieux de pêche étaient les Cornouailles anglaises, le plateau de Rochebonne que certains continuent à fréquenter, les abords de Belle Ile, la mer d'Iroise de Sein à Ouessant fréquentée par les côtiers.
Cette année là les bateaux pêchent 230 tonnes de langoustes rouges qui sont déversées dans les viviers camaretois. La production camarétoise dépasse celle d'Audierne.
Pour la première fois, Camaret devient le premier port langoustier de France.
En 1905 les chantiers lancent encore 10 nouveaux sloops pontés de 15 à 20 tonneaux puis 20 de plus en 1906.
En deux ans la production de langoustes double, l'année 1906 est un véritable record. La plus grande partie des débarquements provient des côtes anglaises.
Quelques sloops construits entre 1903 et 1906
En 1907 les rendements diminuent.
1907 marque un déclin car les fonds du sud de l'Angleterre commencent déjà à donner des signes d'épuisement, le nombre de bateaux bretons ne cesse d'augmenter, 1908 confirme la baisse avec moins de 150 tonnes.
Il devient évident que les côtes anglaises ne peuvent suffire à l'activité de tous ces nouveaux langoustiers, il faut trouver de nouvelles zones de pêche. L' Angleterre n'étant praticable qu'à partir du printemps, nos langoustiers regardent vers l'Espagne et le Portugal où le climat plus doux permettrait de travailler plus longtemps.
Ces côtes d'Espagne et du Portugal étaient connues des pêcheurs camaretois car depuis trente ans des caboteurs appartenant aux mareyeurs de Camaret pratiquaient le commerce de la langouste avec ces pays. Ces bateaux que l'on nommait dundees d'Espagne avaient pour la plupart un gros tonnage et étaient adaptés à la traversée du golfe de Gascogne.
En 1905, Pierre Douguet (toujours le même), François Douguet et Pierre Le Garrec qui avaient déjà compris que l'Angleterre ne pouvait occuper nos bateaux toute l'année, firent une tentative vers le sud avec 3 bateaux. Ils descendirent en 'Espagne mais la limite des eaux territoriales était à 6 milles et rendait la pêche difficile à cause de la profondeur. Au Portugal ils trouvèrent de la langouste. La limite était à 3 milles mais ils furent mal reçus par les pêcheurs locaux. Ce fut un échec.
Les camarétois se rendaient compte également que les sloops d'une vingtaine de tonneaux étaient un peu faibles pour de telles campagnes.
Une nouvelle catégorie de navires verra donc le jour, le dundee, de plus fort tonnage, doté de deux mâts.
A Suivre...